Une juridiction dédiée aux litiges entre employeurs et salariés…
Le conseil de prud’hommes est le seul tribunal réglant tout litige de droit privé entre un employeur et un salarié.
Ce litige peut survenir pendant l’exécution du contrat de travail ou au moment de la rupture. Les demandes portent soit sur les heures supplémentaires, le travail dissimulé, l’exécution déloyale, la sécurité, la discrimination, etc. Soit sur la contestation d’un licenciement, la résiliation judiciaire ou la prise d’acte.
Ainsi présenté, on comprend que les salariés forment très majoritairement les demandes. Ce qui est logique, puisque c’est l’employeur qui détient le pouvoir de direction et le pouvoir disciplinaire. L’essence du contrat de travail repose sur le lien de subordination juridique permanent défini par la Cour de cassation : « L’exécution d’un travail par un salarié sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail » (v. par exemple : Cass. soc., 13 nov. 1996, no 94-13.187, Bull. civ. V, no 386 ; Cass. soc., 4 juill. 2002, no 00-19.297 ; Cass. 2e civ. 25 mai 2004, no 02-31.203).
… où chacune des deux parties a son propre rôle.
Le salarié estime que l’employeur n’a pas respecté le contrat de travail, ce qui provoque des litiges Il peut alors saisir le conseil de prud’hommes pour demander le respect de ses droits et l’indemnisation de ses préjudices. Ici, il faut envisager la notion de contrat de travail dans son acception la plus large. Il s’agit de l’ensemble des obligations légales de l’employeur, bien au-delà du simple contrat écrit signé.
De son côté, si le salarié ne satisfait pas l’employeur, celui-ci utilise son pouvoir de direction pour le sanctionner directement.
Cela explique que, dans 99 % des affaires, le salarié est demandeur et l’employeur défendeur devant le juge. Le reliquat concerne surtout les demandes liées à une clause de non-concurrence, un préavis non fait ou une faute lourde.
Il est possible de cumuler plusieurs chefs de demandes, tenant aussi bien à la rupture qu’à l’exécution du contrat.
Cette introduction explique pourquoi les statistiques prud’homales sont, par nature, faussées pour répondre à qui gagne ou perd. Comme le salarié agit majoritairement et que l’employeur supporte l’essentiel des obligations, ce dernier est plus souvent condamné.
Ce schéma judiciaire n’est que la traduction de la création du droit du travail qui cherche à « compenser par des mesures sociales les inégalités économiques entre employeurs et salariés » (Selon le Bureau international du travail, l’une des agences spécialisées des Nations Unies).
Une juridiction spécialisée unique en Europe.
Depuis 1806, le conseil de prud’hommes constitue une juridiction civile de premier degré. Il est possible d’interjeter appel si l’enjeu dépasse un seuil ou concerne la remise de documents obligatoires. Elle est paritaire : les conseillers sont désignés par les organisations syndicales et patronales. Et composée de juges non professionnels issus de la société civile avec un mandat de quatre ans renouvelable.
La saisine déclenche une audience devant le BCO, qui tente une conciliation ou oriente l’affaire vers la suite. Ce bureau est composé de deux conseillers : un représentant du collège salarial et un du collège patronal. Dans certains cas limitativement énumérés (article R 1454-14 du Code du travail), il peut déjà condamner l’une des deux parties. Il s’agit principalement de la remise de documents ou des rappels financiers incontestables. Dès cette étape, une partie peut gagner ou perdre, même si la décision provisoire devra être confirmée ensuite.
Le « bureau de jugement » statue sur les demandes du demandeur en tenant compte des objections du défendeur. Ce bureau est composé de quatre conseillers (deux représentants des employeurs et deux des salariés). Dans le secret du délibéré, le débat porte sur la condamnation, le rejet des demandes et le quantum à retenir.
En cas d’égalité de voix, le bureau de jugement renvoie à une audience dite de « départage ». Le dossier sera de nouveau plaidé sous la présidence (et la décision) d’un juge professionnel. En 2022, cette hypothèse s’est produite dans près de 17 % des cas, stable par rapport à 2021 (Les affaires prud’homales dans la chaîne judiciaire).
À l’issue de ce processus, une décision est donc rendue en faveur de l’une ou l’autre des parties . Mais peut-on dire que l’une ou l’autre a gagné ou perdu ? Ce n’est pas si simple. Pour y voir plus clair, intéressons-nous aux statistiques puis dépassons lés.
Un contentieux entre salarié et employeur en diminution
Depuis l’année 2013, le nombre d’affaires portées devant les quelque 200 conseils de prud’homme est en chute libre (plus de 200 000 alors), avec une première accélération en 2015 (année de réforme de la procédure prud’homale issue de la loi dite « Macron ») et une seconde en 2017 (mise en place du barème lui aussi « Macron ») pour s’établir ces dernières années à environ 100 000. Compte tenu du stock, ces juridictions ont rendu 113 744 jugements en 2022.
Depuis 2017, les appels de jugements prud’homaux diminuent avec un recul marqué entre 2016 et 2018. Six jugements sur dix sont contestés en appel par la partie s’estimant perdante ou insuffisamment gagnante. En référé, les taux d’appel se situent très en dessous, autour du quart des affaires susceptibles d’appel. Devant la cour de magistrats professionnels, l’affaire est réexaminée, avec seulement 30 % de confirmations totales en moyenne. Ce qui signifie que les cours ne valident totalement que trois jugements prud’homaux sur dix. La fréquence des informations partielles est plus élevée, probablement liée à la multiplicité des demandes dans les litiges prud’homaux.
Mais revenons en première instance. Le taux de réussite des affaires jugées reste favorable aux demandeurs, malgré une baisse de 72,4 % à 63,6 % (2012-2022). La source statistique ne permet pas de mesurer l’ampleur de la réussite, ni en montants ni en chefs de demandes. Autrement dit, on devrait plutôt parler d’un taux de condamnation du défendeur plutôt que d’un taux de réussite du demandeur. Plus de six cas sur dix, le demandeur obtient au moins une partie de ses revendications selon ces chiffres. S’il avait chiffré à 100 et obtenu 30, peut-on dire qu’il a « gagné » alors que l’autre a « perdu » ?
Pour une analyse plus subtile encore, il faudrait intégrer la mesure du risque pour la partie défenderesse : non seulement le barème dont nous avons parlé plus haut s’agissant des dommages et intérêts, dus en cas de rupture abusive du contrat de travail, comporte par définition un plancher et un plafond (donc le « risque » se situe entre les deux), mais de surcroît les autres demandes possibles ne sont pas barémées : ainsi un salarié peut demander n’importe quel montant sur le terrain de l’exécution du contrat (pourvu qu’il en justifie naturellement).
Si le salarié demande « 1 000 » et que le conseil de prud’hommes lui octroie « 200 », a-t-il gagné ou perdu ? Parallèlement, l’employeur condamné à verser « 200 » à ce salarié qui lui demandait « 1 000 », a-t-il « gagné » ? Statistiquement en tout cas, ce jugement correspondra à une condamnation que le ministère de la Justice imputera au « taux de réussite » dans ses études.
Maîtriser l’aléa juridictionnel : l’enjeu de la conciliation employeur / salarié
Ainsi que nous l’avons précisé plus haut, la procédure prud’homale débute par une phase obligatoire de tentative de conciliation. Il s’agit là aussi d’une particularité de cette juridiction, dont d’ailleurs d’autres se sont inspirées comme en témoigne l’essor des modes alternatifs de règlement des différends promus par le ministère de la Justice afin de désengorger les tribunaux. Cette solution a connu une augmentation sensible à partir de 2018, liée en partie à la possibilité de conclure un accord spécifique incluant une indemnité forfaitaire plus favorable aux salariés que le barème légal (art. L.1235-1 et D.1235-21 du Code du travail). Ainsi, le taux de conciliation en BCO a connu une forte hausse, passant de 16,1 % en 2012 à 27,9 % en 2022 (source : étude ministérielle op.cit.).
D’une façon générale, l’accord des parties pour mettre un terme à leur litige est possible à n’importe quel moment de la procédure, même avant l’audience devant le bureau de conciliation (dès réception de la convocation) et même après (y compris devant le bureau de jugement). Ce rapprochement permet aux parties de maîtriser l’aléa qui existe dans tout procès, de mesurer et de gérer leurs risques. On ne parle alors plus de « gain » ou de « perte », mais d’accord « gagnant-gagnant », où les conseillers prud’homaux et les avocats ont également un intérêt d’utilité publique.
